«HIER IST KEIN WARUM»

Billet méditatif du mercredi par le pasteur Carmelo Catalfamo

Nous sommes à quelques semaines de la commémoration de la fin de la Seconde Guerre mondiale qui s’est achevée il y a 75 ans.

Primo Levi, écrivain juif italien, docteur en chimie, est déporté à Auschwitz en 1944. Quelques années plus tard, il écrit Si c’est un homme, livre dans lequel il relate son expérience concentrationnaire. Il y écrit ce passage devenu célèbre :

«Et justement, poussé par la soif, j’avise un beau glaçon sur l’appui extérieur d’une fenêtre. J’ouvre, et je n’ai pas plus tôt détaché le glaçon, qu’un grand et gros gaillard qui faisait les cent pas dehors vient à moi et me l’arrache brutalement. «Warum?» dis-je dans mon allemand hésitant. « Hier ist kein warum » (ici il n’y pas de pourquoi), me répond-il en me repoussant rudement à l’intérieur. » 

Non, il n’y a pas de pourquoi au moment et sur le lieu où la raison n’a plus droit de cité, laissant place à la haine, à l’arbitraire pur, au refus du dialogue. « Ici », l’argumentation n’a pas droit de cité. La force brute seule tient lieu d’argument. Il est minuit dans l’histoire de l’humanité. Six millions d’êtres humains sont tués du seul fait d’être juifs. L’extermination se fait de manière systématique, méthodique, scrupuleuse. Ajoutons-y les 20 millions (ou plus ?) de victimes du stalinisme et les 60 millions du système maoïste chinois.

Mais revenons à notre commémoration : cela s’est passé durant la Seconde Guerre mondiale, bien sûr, dans tous les camps d’extermination que les nazis ont construits. Où se trouve le « ici » de cette phrase abjecte ? Au cœur même de l’idéologie nazie, bien sûr. Mais également dans la tête de celui qui l’a proférée (ou hurlée) face à Primo Levi. Rien de ce que tu peux dire, penser, espérer, croire, aimer, ne peut avoir de valeur face à l’arbitraire.

Le « ici » de cette phrase se niche également dans les affirmations qui ne s’embarrassent pas de vouloir prouver ou argumenter : « C’est peut-être l’armée américaine qui a apporté l’épidémie à Wuhan », affirme un dirigeant chinois en parlant du coronavirus (Le Temps, 20 avril 2020). Quel besoin de s’embarrasser d’arguments ?

Quant à Trump, il estime que l’on est allé « trop loin » dans les mesures de confinement dans un pays (le sien…) où l’on compte déjà 39’000 victimes dues au Covid-19. Quel besoin de s’embarrasser d’arguments ? 

Mais que font de telles considérations dans une méditation spirituelle ou religieuse ? N’avons-nous pas assez de commentaires, d’éditoriaux dans la presse et les autres médias ? 

Il se trouve que le mal se diffuse au moment où la raison, l’argument, l’échange d’idées n’ont plus droit de cité. Il se trouve que face au mal, nous ne pouvons rester indifférents.