Une histoire proposée par Luc N. Ramoni

Le village au pied du château venait tout juste de se réveiller quand retentit sur la grand place la voix du héraut seigneurial :
– Notre Seigneur bien-aimé invite tous ses bien-aimés sujets à partager avec lui un festin pour son anniversaire. Une heureuse surprise les y attend. Il leur demande toutefois d’avoir la gentillesse d’apporter un peu d’eau pour remplir le bassin de son château, qui est à sec…
En faisant volte-face, le héraut entouré de ses gardes reprend le chemin du castel seigneurial. Les commentaires fusent bon train, mais sur des modes fort divers…
– Pfff… Il a bien assez de domestiques pour faire remplir son bassin… Je lui monterai un verre, ce sera largement suffisant !
– Que non ! Il a toujours été bon et généreux ! Je lui apporterai un plein tonneau !
Et au matin du jour dit, on voit un étrange cortège monter du village vers le château. Les uns poussent de toutes leurs forces de grosses futaies, ou ahanent en portant des seaux pleins à ras bord. D’autres, moqueurs, portent une carafe ou un petit verre sur un plateau.
Entrés dans la cour intérieure, chacun vide son récipient dans le bassin central, le dépose au vestiaire et se dirige vers la salle de banquet. Rôtis et vins, danses et chants, lorsque le soir arrive le Seigneur remercie chacun d’un mot aimable et se retire dans ses appartements.
– Et la surprise promise ?
Désappointement des grincheux. Joie heureuse des bons sujets :
– Notre maître vient de nous donner le meilleur festin qui soit !
Et chacun, avant de repartir passe prendre son récipient. Lorsque des cris éclatent, explosent de plus en plus fort en provenance du vestiaire. Cris de joie et cris de rage. Les récipients étaient remplis à ras bord de pièces d’or !
– Ah ! Que n’ai-je apporté davantage d’eau…

Source : Jean VERNETTE, Paraboles pour aujourd’hui, Limoges, Droguet et Ardant, 1991, pp. 186-187.