La crise: un temps pour espérer, malgré tout?

Billet méditatif proposé par Thierry Dominicé, pasteur stagiaire à Bienne

L’expression « crise du coronavirus » est devenue si courante que si l’on tape cette expression dans un moteur de recherche sur Internet, pas moins de 283 millions de résultats sont proposés. Autant dire qu’il faudrait plus d’une vie pour lire tous ces textes …

J’ai trouvé intéressant de me pencher sur les multiples sens du mot « krisis » en grec ancien et biblique. Il me semble en effet que ceux-ci peuvent éclairer d’une lumière nouvelle notre façon d’envisager la situation pour le moins incroyable dans laquelle nous sommes tous plongés depuis quelques semaines. 

Dans un premier sens, krisisdésigne l’action ou la faculté de distinguer, et concrètement choisir quelque chose, élire une personne. Cela s’apparente au discernement, à une invitation à découvrir dans les circonstances présentes ce que nous pouvons retenir de bon pour chacun.e de nous. Mais si l’on va plus loin, ce terme signifie également l’action de séparer, d’entrer en conflit, de contester quelque chose, ce qui renvoie essentiellement au procès, au jugement, à la condamnation. Nous sentons-nous condamnés à vivre confinés le temps que cette pandémie cesse, avec tout ce que cela comporte de douloureux ? Je pense en particulier à celles et à ceux pour qui l’isolement est difficile, mais aussi aux personnes qui sont menacées dans leur existence, parce qu’elles ont perdu leur emploi, leurs moyens de subsistance, ou se sentent menacées de les perdre, sans oublier les malades qui sont en train de se battre contre une forme aiguë du Covid-19.

En l’occurrence, la référence médicale est pertinente, puisqu’en médecine le terme krisisdésigne la phase décisive d’une maladie, le moment où la vie et la mort du patient est en jeu. Il s’agit plus précisément du moment où un brusque changement intervient, pour le meilleur ou pour le pire. Le pire, c’est évidemment la mort, qu’ont rencontrées des dizaines de milliers de personnes dans le monde depuis le début de l’épidémie, et son corollaire : la peine et les difficultés parfois immenses pour leurs proches. Le meilleur : la guérison bien sûr, mais aussi un événement qui peut transformer la manière d’envisager l’existence pour ceux qui ont vaincu le mal.

Et dans le Nouveau Testament, dans quel sens est employé krisis ? On trouve fréquemment ce terme dans l’évangile selon Jean, dans lequel il signifie jugement. Un jugement présent, comme en Jean 3,19, où Jésus dit à Nicodème : « Et le jugement, le voici : la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré l’obscurité à la lumière parce que leurs œuvres étaient mauvaises. » Ou un jugement futur : « Et ceux qui auront fait le bien en sortiront pour la résurrection qui mène à la vie ; ceux qui auront pratiqué le mal, pour la résurrection qui mène au jugement. » (Jean 5,29). Le lien entre la foi en Christ et le jugement est fortement accentué dans cet évangile, au-delà de formulations parfois difficiles à comprendre. Ce jugement, on peut dire qu’il est déjà prononcé par la crucifixion et la résurrection de Jésus ­Christ, même s’il nous faudra tous un jour passer par la mort physique, et avant cela, affronter de nombreuses souffrances, dont la lutte contre des maladies parfois graves.

C’est bien là le fondement de l’espérance chrétienne. Malgré toutes les informations dont les médias nous abreuvent quotidiennement, nous ne pouvons pas vraiment comprendre la crise que nous traversons, et nous ne pouvons pas non plus en connaître avec certitude l’issue. Mais nous avons l’assurance du salut promis par Dieu en Jésus Christ. Oui, Christ vient faire toutes choses nouvelles. Dire et répéter ces mots ne va pas changer les choses comme par magie, mais cela nous ouvre une fenêtre vers l’avenir. J’ose espérer qu’il y aura un avant et un après « coronavirus ». Qu’en quelque sorte, toutes les fragilités, toutes les contradictions de notre monde révélées par cette crise mèneront des hommes et des femmes de bonne volonté à une réflexion profonde puis à des actions résolues pour que demain, le monde ne ressemble plus tout à fait à celui d’hier.

Quoi qu’il en soit, les questions posées il y a quelques jours par Sœur Mireille, prieure de la Communauté des diaconesses de Reuilly, me paraissent belles et potentiellement fécondes à quelques jours de la Semaine sainte : « Ne sommes-nous pas dans ce temps où, d’une certaine manière, la terre bascule sur ses bases, vers un monde de demain qui ne sera plus celui d’hier ? Mais surtout, saurons-nous de foi sûre et humble que le visage du Christ, déjà tourné vers cette terre, lui est une salutation, un bonjour, une présence en promesse ?